cours de dr Atta
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UFR DES SCIENCES DE L’HOMMEET DE LA SOCIETE
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LICENCE 1
UE : BIOANTHROPOLOGIE
EC2 : La Bioanthropologie
dans le système des sciences
Dr KOUAME Atta
Anthropologue biologiste
Enseignant-chercheur
Université Félix Houphouët Boigny
Licence 1 Anthropologie 2012 - 2013
EC : LA BIOANTHROPOLOGIE DANS LE SYSTEME DES SCIENCES.
Responsable EC : Dr KOUAME Atta
ISAD – département de Bioanthropologie
SYLLABUS
I- Objectifs du cours
1- Objectif général
Situer la Bioanthropologie au sein des grandes familles des sciences et savoir son champ d’application et ses branches.
2- Objectifs spécifiques
A l’issue de l’enseignement, les étudiants doivent être capables de:
1- Connaitre l’histoire la bioanthropologie et les différentes ruptures épistémologiques qu’elle a connues dans sa constitution
2- situer la bioanthropologie dans le système des sciences et plus spécifiquement celui des sciences humaines
3- Situer la bioanthropologie par rapport aux autres sciences anthropologiques
4- définir les branches de la bioanthropologie et leurs champs d’application
5- comprendre le caractère pluridisciplinaire et interdisciplinaire de la bioanthropologie
II- Pédagogie
L’EC est d’un volume horaire de 75 h dont 37 h de Cours (CM + TD) effectué par l’enseignant et 38 h consacrées à l’étudiant pour des recherches personnelles en complément de l’EC. Le Cours Magistral est d’un volume de 17 h et se fera à l’aide d’un support pédagogique (polycopies) et le TD est de 20 h par groupe. Pour le TD des thèmes d’exposé seront confiés aux étudiants constitués en sous-groupes de travail au sein des groupes de TD dont les effectifs sont fixés à 30 étudiants dans le système LMD. Le TD contribue non seulement à la bonne compréhension du cours et élucide les zones d’ombre du CM, mais il permet également aux étudiants de participer de façon active au cours et les initie au mieux au travail personnel.
La présence au cours sera indispensable à la compréhension de l’EC car les étudiants sont appelés à prendre des notes malgré les polycopies.
III- Contenu
Le cours présente l’évolution historique de la Bioanthropologie, son champ d’étude et ses branches. Montre les différentes ruptures épistémologiques et méthodologiques qu’elle a connu dans sa constitution. Situe cette discipline dans le système des sciences de la nature et de l’homme et montre ses rapports avec les autres disciplines anthropologiques.
IV- Plan provisoire du Cours
I- Histoire et constitution de la Bio anthropologie
A- L’anthropologie physique : Histoire, Démarche, Missions et Limites
B- Apport de la génétique, Ruptures épistémologiques et méthodologiques et constitution de la Bioanthropologie
II- La Bioanthropologie et les traditions universitaires
III- La bioanthropologie dans la nomenclature des sciences
A- La Bioanthropologie et les sciences de la nature
B- La Bioanthropologie et les sciences humaines
C- La Bioanthropologie et les autres disciplines anthropologiques : champs et interdisciplinarité
VI- LA BIOANTHROPOLOGIE AUJOURD’HUI : SON OBJET ET SES
BRANCHES. .
A- Objet de la Bioanthropologie
a- La variabilité humaine
v Typologie de la variabilité humaine
- Polymorphisme morphologique
- Polymorphisme des protéines
- Polymorphisme enzymatique
- Polymorphisme immunologique
- Polymorphisme chromosomique
- Polymorphisme épigénétique
v Origine ou déterminisme des variations
- Déterminisme génétique
- Méiose et crossing-over
- Mutations
- Les mutations géniques
- Les mutations chromosomiques
- Les modifications de la structure des chromosomes
- Les migrations
- Déterminisme épigénétique
b- De la biologie à la culture
B- Les branches de la Bioanthropologie
a- L’écologie humaine
b- L’éthologie ou la biologie du comportement
c- La génétique des populations humaine
d- La biologie humaine
CONCLUSION
C- Travaux dirigés : thèmes d’exposé
D- L’Anthropologie physique classique, démarche et limites
E- De l’anthropologie physique classique à la Bioanthropologie : les ruptures
F- La Bioanthropologie et les sciences du vivant.
G- La Bioanthropologie et ses branches
H- La bianthropologie et les autres disciplines anthropologiques
I- La psychologie raciale
J- Le concept de « race » et la Bioanthropologie aujourd’hui
K- L’éthologie humaine
L- La biologie humaine
M- La génétique des populations humaine
N- L’écologie humaine
IV- Contrôle des connaissances
Le contrôle des connaissances comprend une note de TD et une note d’examen. Les exposés traités par les étudiants pourraient compter ¼ de la moyenne de l’EC.
BIBLIOGRAPHIE
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boëtsch, Alain Froment, António Guerci, Joëlle Robert-Lamblin, L'Homme et sa diversité Perspectives et enjeux de l'anthropologie biologique, CNRS Editions 2007
Albert JACQUARD, Eloge de la différence, la génétique et les hommes, éditions Seuil, 1978, 226 p.
Bertrand JORDAN, L’humanité au pluriel, la génétique et la question des races, éditions Seuil, 2008, 230 p.
Charles ROUX, L’hérédité, CASTERMAN, 1974, 168 p.
Charles SUSANNE, Esther REBATO, Brunettto CHARELLI, Anthropologie biologique, évolution et biologie humaine, De boeck, 2003, 763 p.
E.E. EVANS-PRITCHARD, Anthropologie sociale, Petite Bibliothèque Payot, 1977, 177 p.
Jacques RUFFIE, De la biologie à la culture, Flammarion, 1978, 594 p.
Jean CHALINE, Quoi de neuf depuis Darwin ? La théorie de l’évolution des espèces dans tous ses états, Ellipses, 2007, 480 p.
I- HISTOIRE ET CONSTITUTION DE LA BIO ANTHROPOLOGIE
La Science ne peut se constituer à travers une seule génération de chercheurs. Elle est le résultat d’une longue réfutation des problématiques et des théories grâce à laquelle la science se construit. L’Anthropologie au sens biologique du terme nommé Anthropologie biologique ou Bioanthropologie ou encore Anthropobiologie n’échappe pas à cette réalité scientifique. Elle s’est constituée au fil du temps à travers différents remaniements épistémologiques et méthodologiques. Connu d’abord sous le vocable d’Anthropologie physique dont le champ se limitait à l’étude comparée des variations anatomiques et morphologiques de l’espèce humaine, cette discipline va peu à peu opérer des ruptures nécessaires à sa constitution en tant que discipline étudiant l’homme dans sa totalité et sa variabilité biologiques au cours de son histoire évolutive et actuelle ; et les interactions qui existent entre les aspects biologiques et culturels humains.
A- L’anthropologie physique : Histoire, démarche, missions et limites
6- Histoire
L’anthropologie physique est née au XVIIIe siècle. Les récits des explorateurs sur l’existence de peuples différents, ont incité les savants à réunir des observations scientifiques sur les peuples de la Terre. Ainsi l’anthropologie physique s’est d’abord essentiellement limitée à la description de la morphologie externe et la physionomie des individus vivants, avant d’intégrer plus tard l’étude des origines et de l’évolution de l’homme. La préoccupation principale des premiers anthropologues, le plus souvent issus de la médecine, de la biologie ou des sciences naturelles, fut d’étudier l’origine et l’évolution de l’homme, d’établir des classifications de l’espèce humaine sur la base du concept de « race », en s’appuyant sur les méthodes de l’anatomie comparée et des caractères morphologiques visibles.
Sur le plan institutionnel, l’anthropologie se développe d’abord en dehors du cadre universitaire, au sein de sociétés savantes, fruits d’initiatives privées.
Les caractères descriptifs seront donc la couleur de la peau, des yeux, la forme du cheveu, du nez, de la bouche, des oreilles, la taille, les volumes crânien et corporel … Ces différences caractères morphologiques vont permettre aux anthropologues de cette époque de faire une classification raciale des peuples du monde. A partir de la couleur de la peau, la forme du cheveu et du nez, ils vont distinguer trois grandes « races » : Blanche, Jaune et Noir. A ces caractères morphologiques s’ajoutent parfois des caractères culturels. La « race » noire par exemple regrouperait les individus ayant une peau noire, des lèvres épaisses, des cheveux crépus, qui vivent à moitié nu dans la forêt ou la savane africaine, avec une langue, des coutumes, des croyances, une organisation tribale, et tout un mode de vie très éloigné de celui de l’occident (Europe). Pour Carl LINNE (1707- 1778), l’espèce Homo sapiens pouvait se diviser en six (6) races différentes : sauvage, américaine, européenne, asiatique, africaine et monstrueuse. Si la première demeurait hypothétique et n’a jamais pu être repérée, il est question pour la dernière, d’une description purement pathologique qui pouvait se rencontrer n’importe où. Pour COMTE DE BUFFON (1707- 1788), la variabilité des « races » humaines devait être expliquée par le fait qu’à partir de la race blanche originelle les types humains se sont trouvés diversifiés et modifiés suivant les climats. Pour Johann F. BLUMENBACH (1752-1840), il existe cinq (5) « races » dans le monde. La race caucasienne ou race blanche, la race mongole ou race jaune, la race malaise ou race marron, les nègres ou race noire, les américains ou race rouge. Les classifications récentes furent celle de VALLOIS qui comptait quatre « races » principales subdivisées en 25 « races » secondaires, celle de MONTANDON qui part de 5 troncs raciaux se découpant en 20 « races », celle de DENICKER qui part de la forme des cheveux comme caractère fondamental vers de caractères de plus en plus secondaires et identifia 29 groupes raciaux. Ainsi les classifications se succédaient au fur et à mesure que les anthropologues de l’époque découvraient de nouveaux critères classificatoires basés sur des caractères morphologiques. Mais jamais il y a eu d’accord sur une classification unique et longtemps il y eut autant de découpage racial que d’auteurs.
La découverte au XIXe siècle des premières preuves de l’existence d’hommes fossiles, différents des hommes actuels vient confirmer les idées d’évolution de l’espèce humaine combattues jusqu’à lors par les dogmes religieux et va donner un autre tournant à la recherche en Anthropologie physique. Dès lors elle s’inscrit dans un mouvement plus général qui, ramenant l’Homme au sein de la nature, lui fait perdre la position privilégiée qu’il occupait au sein de la Création dans la théologie chrétienne. BUFFON fut l’un de ceux dont les théories vont contre les conceptions religieuses de l’homme et le placent au cœur du règne animal. Pour lui l’homme est semblable aux animaux par sa physiologie. Il existe autant de variétés d’hommes noirs que d’hommes blancs ; après plusieurs générations, un groupe d’hommes blancs dans un environnement particulier deviendrait noir ; il n’existe qu’une seule espèce humaine, et non plusieurs. Il en conclut que les variétés humaines sont issues d’une souche initiale qui s’est adaptée, selon les milieux qu'elles habitent. Ensuite vont suivre les idées d’autres scientifiques comme LINNE pour qui l’homo sapiens (homme) se trouve dans la même classe avec les singes dans l’ordre des anthropomorphes et des primates.
Le grand mérite des précurseurs de l’anthropologie physique, Paul Pierre BROCA (1824- 1880) en France et BLUMENBACH en Allemagne fut de décrire des techniques d’observation valables aussi bien pour les hommes vivants que pour les squelettes et d’établir des parallèles anatomiques entre l’homme et les singes. La réelle découverte des primates se fait qu’au moment des colonisations et déjà en 1699 Edward TYSON (1650-1708) avait relevé des similitudes anatomiques entre un jeune chimpanzé mâle et un pygmée (homme).
Ainsi le siècle des lumières (XVIIIe siècle), témoin d’un bouillonnement scientifique et l’émergence des idées évolutionnistes de l’humanité et le darwinisme ensuite va donner une marque à l’anthropologie physique. Il a fallu ensuite attendre l’apparition de la génétique, le remaniement nécessaire du darwinisme et l’apport des sérologistes pour voir en fin au milieu du XXe siècle la constitution de l’anthropologie physique actuelle ou l’anthropologie biologique au sens clair du terme. Une discipline qui ne se limite plus à une simple description des caractères morphologiques et anatomiques, mais qui intègre dans sa description à la fois les données phénotypiques et génotypiques de l’humain, s’efforce d’analyser les variations observées dans le but de les interpréter à la lueur de critères scientifiques admis.
7- La démarche
La démarche consistait donc à observer, décrire et classer les caractères morphologiques et anatomiques humains. Cette démarche avait pour seul but de prouver la supériorité de certains peuples sur d’autres et de conforter scientifiquement les idéologies sociales opposant les « sauvages » aux « civilisés ». Il s’agissait de trouver des critères de classification permettant d’identifier des groupes raciaux. Le terme de « race » va donc dominer le vocabulaire de cette anthropologie. L’apport de la génétique, l’hématologie, la sérologie, a permis la découverte de différences phénotypiques et génotypiques au sein de l’espèce humaine et au sein d’une même population culturellement définie. Les critères de départ de classification des peuples sont donc révolus. Les fondements méthodologiques de l’anthropologie physique actuelle sont donc l’observation, l’analyse et l’interprétation dans un but de compréhension et non de classification raciale et de domination. La variabilité intra- populationnelle intéresse plus l’anthropologie aujourd’hui que la variabilité entre des populations distinctes.
8- Ses missions et ses limites
Les récits des premiers explorateurs sur la découverte de peuples barbares vont consigner à l’anthropologie physique, en ses débuts, la mission à fournir les preuves scientifiques aux idéologies colonialistes et racistes. Sa mission première sera donc d’opposer les peuples « sauvages » aux peuples « civilisés » dans un but de domination de l’occident sur le reste du monde. Pour BUFFON la zone tempérée (l’occident) sera le centre de l’humanité d’où est partir le modèle originel humain auquel il faut rapporter toutes les autres nuances de couleur et de beauté qui varient au fur et à mesure qu’on s’éloigne de cette zone. Ce sont donc les causes accidentelles qui font varier les nations qui peuplent la terre creusant ainsi l’écart entre l’Europe civilisée et le monde sauvage. L’Europe par le progrès qu’elle connait, se doit donc de convaincre les sauvages de réintégrer la nature de l’homme. BROCA intéressé par l’anatomie du crane et du cerveau et la capacité mentale et l’intelligence part de l’idée que la petitesse du cerveau constitue un caractère d’infériorité caractéristique des peuples « primitifs ». Il finit par soutenir que « la capacité crânienne des nègres de l’Afrique occidentale (1372,12 cm3) est inférieur d’environ 100 cm3 de celles des « races » d’Europe ». Le plus radical des intellectuels de l’époque qui affirme ouvertement la supériorité de la « race » blanche (la « race » aryenne) fut Joseph Arthur GOBINEAU (1816-1882) dans son ouvrage Essai sur l’inégalité des races humaine. Ecrivain et diplomate, il s’érige parfois en anthropologue et part du principe que la valeur d’une « race » se juge à sa capacité de créer une civilisation originale. Toutes les civilisations européennes, à l’exception de l’assyrienne, seraient nées dans des populations plus ou moins appartenant à la « race » aryenne (groupe humain parlant des dialectes indogermaniques). Tous les peuples qui, a un moment ou à un autre de leur histoire, ont été dominateurs, ont du sang aryen. Il développa des idées racistes et s’élève contre le métissage qui en diluerait les qualités biologiques de la « race » aryenne. GOBINEAU s’élevait contre toute forme de métissage donc contre les mariages interraciaux spécifiquement le mariage entre individu de la race aryenne et individu d’autres « races ». Pour lui de telle union risque de diluer la race aryenne « supérieur » et d’aboutir à sa disparition sous l’effet du métissage. Ce discours va jusqu’à prôner l’eugénisme comme seul moyen efficace de préserver la race pure blanche. Ainsi devait être interdites les unions interraciales et l’élimination des gènes étrangers déjà introduits dans les races supérieurs par le fait des métissages qui ont déjà eu lieu.
Tout le raisonnement sur lequel se fondait la classification raciale en prônant le racisme et la supériorité de la race blanche est scientifiquement intenable. Il s’agit d’un jugement de valeur et les critères que les anthropologues tentaient donc de produire pour soutenir ce raisonnement sont assez limités et subjectifs. Première parce qu’il existe des dizaines de milliers de marqueurs morphologiques et génétiques qui nous différencient et qui font de chaque personne un individu unique en son genre ; et il serait irraisonnable de se limiter à un nombre assez limité de caractères pour classer les peuples. Dans notre espèce, les races biologiques n’existent pas. C’est par une ségrégation volontaire (eugénisme) que l’on pourrait créer des races humaines comme cela se passerait chez les animaux domestiques, mais ces races pures, artificielles, seraient fragiles et de faible valeur biologique. Deuxièmement il n’y a pas de groupe humain biologiquement supérieur ou inférieur. Pour des raisons historiques, quelques populations se sont développées plus vite que d’autres et ont disposé tôt d’acquis technologiques et culturels qui leur ont conféré une certaine puissance. Dans le vieux monde c’est au Proche-Orient que un certain nombre de plantes et d’animaux ont été facilement domestiqués ce qui a favorisé le développement rapide de l’agriculture et de l’élevage, ce fut la révolution néolithique. Les conditions climatiques de cette zone (climat tempéré), habitée par les Blancs, ont été favorables au peuplement car peu d’agressivité pathologique (climat défavorable aux hôtes vecteurs des parasitoses et viroses). Les zones tropicales des Noirs du néolithique n’avaient pas ces mêmes conditions écologiques. Elles sont au contraire favorables aux parasites responsables des maladies infectieuses et virales. Ces avantages purement écologiques et culturels n’ont rien d’innés, ils sont du au hasard et acquis.
B- Apport de la génétique, Ruptures épistémologiques et méthodologiques et constitution de la Bioanthropologie
Les données de la science répondent à des critères objectifs et donc indiscutables (sujet à interprétations diverses). La confusion qui régna de tout temps autour de la classification des « races » humaines jette le doute sur la valeur réelle du concept racial.
La génétique moderne a permis de s’apercevoir que les différences biologiques entre les populations humaines ne pouvaient être considérées comme absolues et surtout que la hiérarchie que l’on se plaisait d’établir entre les différents peuples ne pouvait avoir aucune justification scientifique. Toute l’humanité possède un même patrimoine héréditaire commun. Le concept de race est fondé sur la variabilité de quelques gènes parmi les dizaines de milliers que comptent les chromosomes humains. Certains de ces gènes commandent les propriétés sérologiques du sang (cf. HEMOTYPOLOGIE), ce qui a permis d’individualiser certains groupes humains. Mais une classification fondée sur un aussi petit nombre de gènes ne saurait avoir une portée générale. Il existe tellement une diversité de gènes responsables d’un immense polymorphisme génétique qu’une fraction infime de celui-ci ne saurait servir de critère de classification des peuples du monde. Chaque individu est génétiquement unique en son genre à l’exception des vrais jumeaux qui se ressemblent. Et à partir de critères génétiques arrêtés on pourrait identifier des personnes de cultures et de sociétés différentes appartenant à un même groupe génétique. Les critères de classification raciale sont donc insuffisants pour délimiter des populations.
Pendant longtemps donc, l'anthropologie physique des populations actuelles a fondée ses conclusions sur la variabilité de quelques caractères biologiques et génétiques parmi les milliers que compte l’humain. Des milliers d'unités d'observation anthropométriques ou anthroposcopiques furent inventées, utilisées, compilées et comparées. Chaque population (comme chaque individu) s'avérait originale mais on scrutait les ressemblances et les différences relatives afin de réduire cette variabilité en modèles intelligibles. On négligea ensuite des caractères à hérédité complexe au profit d'observations à base génétique plus simple (groupes sanguins, groupes sériques, etc.). Toutefois, on soumettait ces dernières à une méthode d'analyse relativement semblable à celle utilisée auparavant pour l'étude des caractères à hérédité complexe et on aboutissait à des conclusions d'apparentement génétique (les conclusions basées sur l'analyse morphologique révélaient aussi, mais de manière plus confuse, des apparentements génétiques).
En anthropologie physique et dans de nombreuses autres spécialités de l'anthropologie, c'est entre 1950 et 1960 qu'on note une réorientation épistémologique et méthodologique fondamentale. Les attributs ne consistent plus en de simples « marqueurs » indépendants des processus biologiques, mais on s'attarde sur ces processus qu'il importe d'analyser. La question prédominante devient : comment interpréter les ressemblances et les différences, que signifie chacun des attributs relevés ?
La science n'existe que si les objets qu'elle étudie sont déterminés et se prêtent à une analyse des chaînes déterminantes précises. Déjà marquée par une recherche d'objets génétiques, l'anthropologie physique se caractérisera de plus en plus, à partir de 1960, par une recherche des facteurs de la variabilité génétique. Ces facteurs, connus depuis longtemps (métissage, dérive génétique, mutation, sélection), n'agissent toutefois que par l'intermédiaire des comportements. Puisque l'anthropologue physique tâche de qualifier précisément les chaînes déterminantes, il doit aussi intégrer son objet à une anthropologie globale. Les idées politiques, les systèmes de valeur, les moyens de transport, l'isolement, les systèmes de parenté, la langue, le type d'économie (urbaine, paysanne, d'autosubsistance, etc.), la religion et les normes conscientes ou inconscientes de comportement peuvent avoir des conséquences importantes et diversifiantes dans des milieux donnés.
Comme la paléontologie s'associait à la préhistoire et à l'écologie pour analyser les systèmes relationnels des hominidés, de même l'anthropologie physique actuelle ou la bioanthropologie s'associe-t-elle à l'ethnologie et à l'écologie pour analyser les populations actuelles.
En plus le développement de la biométrie et l'accessibilité aux ordinateurs ont, au point de vue méthodologique, influencé toutes les sciences biologiques. En effet, alors que les grandes conclusions de l'anthropologie physique classique relevaient en bonne partie d'une intuition guidée par l'expérience et la manipulation, il est maintenant indispensable d'appuyer son argumentation sur des calculs qui estiment le degré de validité des prémisses. L'interprétation n'est pas automatiquement confirmée au moyen de ces formules, mais on peut plus facilement la critiquer à partir du moment où on peut mieux mesurer la force relative de ses composantes. Ce développement méthodologique a favorisé l'analyse en profondeur de la variabilité biologique par la mesure de l'influence des divers facteurs qui interviennent dans la création, le maintien ou la disparition des écarts significatifs. Il a également, en bonne partie, provoqué la remise en question du concept de race en confrontant l'anthropologie à un apparent problème de logique.
En effet, la comparaison quantitative d'un grand nombre d'échantillons permet de mesurer en toute probabilité leurs écarts à un niveau multivarié », c'est-à-dire en tenant compte simultanément de l'ensemble des paramètres. Or, l'analyse de ces écarts (ou distances probables) défie toute classification logique. Le principe de base d'une classification consiste dans le regroupement d'échantillons qui se ressemblent plus entre eux qu'ils ne ressemblent à d'autres échantillons analysés pour les mêmes caractères. Par définition, la classification est exclusive. La raciologie classique confirmait l'intuition générale et reconnaissait l'existence des races, c'est-à-dire des ensembles d'échantillons qui dénotaient des ressemblances réciproques plus marquées qu'avec d'autres échantillons. Cependant, un examen plus approfondi nous amène à constater que cette discontinuité entre les divers ensembles apparaît comme une affirmation gratuite. Les échantillons ne se présentent pas comme des ensembles discontinus, mais décrivent une variabilité si continue qu'il est pratiquement impossible de regrouper plus de 3 ou 4 échantillons en un même ensemble. Si on en regroupe plus, on fait une brèche dans la logique et on associe, à l'intérieur d'un même groupe, des populations dont les différences réciproques sont plus prononcées que celles existant entre l'une de celles-ci et une autre appartenant à un autre ensemble. Il devient dès lors extrêmement difficile de parler de races, à moins d'admettre une classification qui comprendra des centaines de races ! Dans ce dernier cas, la classification, qui n'est, somme toute, qu'un outil facilitant l'intelligibilité du réel, deviendra inutile.
Cela revient-il à nier l'existence des « races »? Plusieurs anthropologues pensent ainsi. Pourquoi conserver un concept populaire qui, s'il correspondait naguère à une vision du monde particulière, ne s'accorde plus avec une perception scientifique du réel ? Mais certains anthropologues ne sont pas prêts à abandonner radicalement le contenu de ce concept et entretiennent un débat peut-être sans issue. De plus en plus le terme de population est utilisé par les anthropologues et les généticiens pour remplacer celui de « race ». La race étant admise pour identifier un groupe d’animaux (chien par exemple) génétiquement déterminé.
II- LA BIOANTHROPOLOGIE ET LES TRADITIONS UNIVERSITAIRES
Situé la Bioanthropologie dans les traditions universitaires amène à présenter l’organisation des disciplines anthropologiques selon les systèmes académiques anglo-saxon et francophone. Quand on parle d’anthropologie tout coup - qui signifie pour nous l’étude de l’homme dans sa totalité (biologique et culturelle) - pour le profane et parfois même pour les gens avertis, il s’agirait d’anthropologie sociale. On ignore donc que la nature de l’homme vient avant sa culture. Sans le bios le culturel ne serait pas. Le terme anthropologie désigne de façon générale l’ensemble des disciplines qui étudient l’homme dans sa totalité, son histoire évolutive, son unicité et sa variabilité. Les disciplines qu’elle regroupe sont différemment reparties selon qu’on se trouve dans le système anglo-saxon ou Francophone. Dans les universités anglo-saxonnes, l’anthropologie regroupe donc quatre domaines : l’anthropologie physique, l’archéoanthropologie, l’anthropologie linguistique et l’anthropologie sociale et culturelle. Dans les universités nord américaines (USA, CANADA), ce découpage académique révisé donne la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique, l’archéologie et l’anthropologie sociale. Ces disciplines sont regroupées généralement dans une même institution de formation et de recherche. Alors que les universités françaises, on se limite généralement à l’anthropologie physique encore nommée anthropologie biologique qui regroupe la paléontologie humaine, la génétique des populations et la biologie humaine des populations actuelles ; et l’anthropologie sociale connue encore sous le nom d’ethnologie. Si la première est généralement rattachée aux filières de médecine ou de biologie la seconde se retrouve dans les facultés des sciences humaines et sociales. L’archéologie se loge généralement dans le département d’histoire et s’affirme difficilement comme une discipline autonome.
L’anthropologie physique ou anthropologie biologique constitue dans le système français une discipline autonome qui s’occupe à la fois de l’étude de l’histoire évolutive humaine (paléontologie humaine), de la génétique et de la biologie des populations humaines actuelles. Alors que dans le système nord américain, quand on parle d’anthropologie biologique il s’agira uniquement de l’étude bioculturelle des populations actuelles. La paléontologie humaine est une discipline sœur autonome connue sous l’appellation de paléoanthropologie.
Le terme anthropologie sociale est utilisé en Angleterre et, dans une certaine mesure, aux États-Unis, pour désigner une certaine branche de l'anthropologie qui est l'étude de l'homme sous différents aspects. Son étude porte sur les sociétés et les cultures humaines. En Europe, la terminologie est différente : quand on parle d'Anthropologie (qui pour nous signifie l'étude de l'homme dans son ensemble), on se réfère à ce qu’on appelle en Angleterre l'anthropologie physique, c'est-à-dire l'étude biologique de l'homme. Ce que les Anglais appellent anthropologie sociale, porte, en Europe, le nom d'ethnologie ou de sociologie (E.E. EVANS-PRITCHARD, 1977).
Même en Angleterre, l'expression anthropologie sociale n'a pris son sens actuel que plus tard. On a enseigné cette matière sous le nom d'anthropologie ou d'ethnologie, depuis 1884 à Oxford, depuis 1900 à Cambridge et depuis 1908 à Londres la première chaire universitaire qui porta le nom d'anthropologie sociale fut celle de Sir James Frazer à Liverpool en 1908. Comme elle est l'une des branches du vaste sujet que représente l'anthropologie, on l'enseigne souvent conjointement avec les autres branches : anthropologie physique, ethnologie, archéologie préhistorique et parfois linguistique et géographie humaine (E.E. EVANS-PRITCHARD, 1977).
Le programme des cours d'anthropologie dans les traditions universitaires pourrait être représenté par trois cercles intersectés figurant respectivement les études de biologie, d'histoire et de sociologie ; les intersections représenteraient alors l'anthropologie physique, l'ethnologie (comprenant elle--même l'archéologie préhistorique et la technologie comparée), et l'anthropologie sociale. Bien que l'homme constitue un sujet d'étude commun à ces trois disciplines anthropologiques, elles n'en ont pas moins, comme nous l'avons vu, des buts et des méthodes très différents (E.E. EVANS-PRITCHARD, 1977).
III- LA BIOANTHROPOLOGIE DANS LA NOMENCLATURE DES SCIENCES
Situé la bioanthropologie par rapport aux autres sciences c’est non seulement la classer parmi ces sciences mais également situer sa démarche par rapport à celles de ces sciences et l’interconnexion qui existe entre elles.
A- La Bioanthropologie et les sciences de la nature
La bioanthropologie ou l’anthropologie physique a été d’abord l’affaire de spécialistes des sciences du vivant (médecins anatomistes, biologistes naturalistes). Elle l’a été d’autant plus qu’elle à porté sur le biologique avant d’intégré le culturel. BUFFON définit dans son Traité des variations de l'espèce humaine (1749) l'« Anthropologie physique» comme l'équivalent de l’« Histoire naturelle de l'Homme ». DIDEROT propose en 1751 une définition plus étroite en faisant de l’anthropologie un équivalent de l’anatomie. Si le périmètre de l’anthropologie et sa position vis-à-vis de disciplines voisines demeurent flous au cours du XIX siècle, elle reste considérée comme une discipline des sciences naturelles. Elle épouse le paradigme naturaliste qui proclame que le statut d’un groupe humain, comme l’ordre du monde qui le fait tel, est programmé de l’intérieur de la matière vivante. Tout en cherchant à étudier l’origine et l’évolution de l’homme ; et à établir des classifications de l’espèce humaine, elle s’est appuyée sur les méthodes de l’anatomie comparée et d’observation des sciences naturelles. Aujourd’hui encore l’anthropologie biologique demeure fortement liée aux sciences du vivant et de la nature. Elle est en interconnexion avec l’écologie, la génétique, la biologie, d’où elle tire ses spécialités. Dans sa démarche, elle a très souvent recours aux méthodes et techniques de ces disciplines. De ce point de vue elle se trouve à l’interface des sciences du vivant et des sciences de l’homme. Si l’anthropologie a connu une révolution épistémologique considérable et salutaire c’est grâce aux apports de la génétique et les autres domaines de la biologie. Elle étudie de même la position systématique du genre homo et de l’espèce homo sapiens, son origine, sa relation avec les autres primates, son anatomie, sa physiologie, et même ses aspects pathologiques et psychologiques. De ce point de vue elle se positionne parmi les sciences biologiques avec lesquelles, elle partage des domaines et s’inspire parfois de leurs méthodes. Ce qu’elles ont de plus en commun c’est qu’elles procèdent toutes de la même démarche hypothético-déductive de vérification.
L’homme étant le sujet qu’étude de la bioanthropologie, elle ne peut le faire en séparant de celui-ci, la culture et le social qui le conditionnent. La bioanthropologie dans ce cas a un rapport avec les disciplines qui étudient la condition socioculturelle de l’homme.
B- La bioanthropologie et les sciences humaines
Dans l’histoire évolutive de l’homme, l’évolution biologique s’amenuise au fur et à mesure que se développe le patrimoine culturel. Par exemple l’homme est le seul être qui ait domestiqué le feu ; or des aliments cuits ont une influence indirecte sur la morphologie faciale : mâchoires et dents n’ont plus besoin d’être aussi puissantes. De même, les conditions de la vie moderne et les progrès techniques jouent un rôle sur notre devenir biologique. De ce point de vue l’anthropologie biologique ne peut étudier la condition biologique de l’homme en se passant de sa condition sociale. Elle se classe donc parmi les sciences humaines en abordant les caractéristiques sociales de l’humanité, les modifications profondes des milieux naturels de l’homme, la production des cultures humaines, et elle peut également constituer une synthèse sous forme d’un discours qui se veut philosophique. L’action de l’homme sur son environnement écologique grâce à sa production culturelle (outils sophistiqués, techniques culturales) et l’intelligence de leur utilisation influence fortement les conditions biologiques de vie (maladies liée aux conditions du milieu, famine,…). Sans donc une approche dans le sens des sciences humaines, la Bioanthropologie ne peut articuler pertinemment les rapports entre les conditions culturelles et biologiques de l’homme. De ce point de vue elle aborde non seulement des aspects sociaux de l’homme mais encore elle doit s’inspirer de la démarche des sciences humaines. Elle doit donc se situer comme une science holistique en considérant les savoirs des autres sciences humaines. On ne peut faire de la bioanthroplogie en ignorant les données culturelles ou sociologiques lien à la condition humaine. On ne peut par exemple étudier la distribution d’un gène dans une population donnée sans tenir compte des relations matrimoniales dans cette population et les valeurs qui soutendent les unions croissance. De même on ne peut étudier la croissance d’un groupe d’adolescent sans tenir compte de leur habitude alimentaire. Ces données qui conditionnent ces caractéristiques biologiques sont du domaine de la culture. L’anthropologie biologique se trouvent donc à l’interface du biologique et du culturel et peut se classer parmi les sciences humaines.
C- La Bioanthropologie et les autres disciplines anthropologiques : champs et interdisciplinarité
De l’articulation donc des pôles théoriques de l’humain, biologie/culture, présent/passé, unité/variabilité, découle les quatre disciplines anthropologiques : paléoanthropologie, anthropologie biologique, archéologie et anthropologie sociale.
Schéma des champs disciplinaires de l’anthropologie
Biologie unicité
PALEOANTHROPOLOGIE BIOANTHROPOLOGIE
|
Passé Présent
ARCHEOLOGIE SOCIOANTHROPOLOGIE
Variabilité Culture
La PALEOANTHROPOLOGIE a pour champs d’étude la diversité et l’unité de la biologie humaine au cours de l’histoire évolutive humaine, dans ses descriptions morphologique, biométrique, génétique et comportementale et ses analyses environnementales.
La BIOANTHROPOLOGIE est situé à l’interface du biologique et du culturel et de leurs interactions. Elle a pour champ d’étude l’unité et la variabilité biologique humaine actuelle. Elle englobe dans ce champ les analyses génétiques, sociobiologiques du comportement humain (éthologie) et les rapports complexes qui lient l’homme biologique aux composantes de son écosystème (écologie humaine).
L’ARCHEOLOGIE porte sur les traces de la culture matérielle de l’homme produite au cours de son histoire évolutive. Elle veut reconstitue cette culture en se présentant comme l’étude de l’unité et de la variabilité culturelle humaine et ses analyses dans l’ordre synchronique et diachronique des processus de transformation.
La SOCIOANTHROPOLOGIE ou ETHNOLOGIE porte sur la problématique de l’unité et de la variabilité socioculturelles des sociétés contemporaines. Elle analyse, le comportement social, généralement sous ses formes institutionnalisées telles que la famille, les systèmes de parenté, l'organisation politique, les modes de procédure légale, les cultes religieux, etc., et les relations existant entre ces diverses institutions; elle les étudie soit dans les sociétés contemporaines, soit dans les sociétés historiques pour lesquelles il existe suffisamment d'informations dignes de foi permettant de procéder à ces études.
Une étude l’anthropologie biologique ne peut se concevoir sans une collaboration de nombreuses disciplines telle que l’anthropologie culturelle, l’ethnographie, la linguistique, l’archéologie, la géographie humaine, l’écologie humaine, la biologie moléculaire, la génétique, … L’anthropologie biologique, l’anthropologie culturelle, la paléoanthropologie et l’archéologie sont des disciplines parallèles même si elles sont séparées par des cultures scientifiques différentes. L’humain a une double nature : la première biologique, renvoie à son appartenance au monde animal. La deuxième culturelle, dont l’apprentissage dans la régulation des comportements fait référence à son aspect proprement humain. Biologie et culture sont deux dimensions de l’humain qu’il n’y a pas lieu de séparer dans les études anthropologiques.
Il est évident que l'évolution de l'homme ne peut être limitée à celle de son corps et que les outils comme les racloirs, les gouges, les foyers, les habitations, etc., apparaissent comme des prolongements nécessaires de son organisme, destinés à satisfaire des besoins que le corps lui-même n'arrive pas à combler. Sans eux, l'hominisation devient difficilement intelligible et la paléontologie humaine ne saurait donc se limiter à une simple description des dents ou des ossements car leur signification totale se dégage uniquement en conjonction avec les autres mécanismes d'adaptation relevés par l'archéologue.
L'étude des rétroactions déterminantes entre le milieu, l'organisme, ses outils et ses comportements techniques et sociaux (système relationnel) devient donc le sujet d'attention fondamental et, dans ces conditions, la paléontologie humaine se transforme en véritable paléoanthropologie.
Les fouilles fournissent simultanément des documents au paléontologiste et à l'archéologue et, malgré la division académique des deux disciplines depuis un siècle, ces données n'ont toujours représenté que deux facettes des mêmes archives.
À partir du moment où on découvre de nouveaux problèmes et où on s'interroge sur le dynamisme des relations évolutives, sur leurs déterminismes et leur signification, on doit cependant réviser les anciens programmes qui sépare notre bio-évolution des déterminismes cultures qui lui donne forme. La paléontologie humaine ne peut plus se résumer en une vaste érudition et s'il importe encore autant de connaître les faits, il faut également se rendre compte que ces faits ne prennent un sens qu'en étant ordonnés en fonction de leur signification globale. Les seules séquences de crânes nous apprennent relativement peu de choses sur le phénomène humain sinon que l'homme s'est transformé au cours du temps grâce à l’acquisition de nouvelles techniques que seule la collaboration entre paléontologie et archéologie permet de rendre compte.
Ces séquences purement phénotypiques (limitées aux apparences) sont presque exclues des contextes biologique et culturel ; et la plupart des anciens manuels de paléontologie (avant 1960) ont consacré peu d'espace aux déterminismes évolutifs, se contentant de décrire des inventaires d'ossements, de rédiger une géographie de ces inventaires et de les placer en ordre chronologique.
C'est grâce à ces milliers d'heures passées à la description des fossiles, à leur classement géographique et chronologique que nous pouvons aujourd'hui aborder de nouveaux problèmes et insérer la paléontologie au sein du cadre plus vaste d'une véritable biologie évolutive. Les nouvelles tendances de la paléontologie humaine, stimulées par les recherches sur le terrain en primatologie (commencées vers 1960) et par le changement d'orientation méthodologique de l'archéologie (amorcé vers 1960), reprennent le problème de la nature de l'homme et de sa culture.
VII- LA BIOANTHROPOLOGIE AUJOURD’HUI : SON OBJET ET SES
BRANCHES. .
C- Objet de la Bioanthropologie
La Bioanthropologie peut se définir de nos jours comme la science de la variabilité humaine. Elle tente d’établir également les rapports entre la biologie et la culture d’une part et entre l’homme et son environnement naturel d’autre part à travers bien sûr ses différentes branches ou sous-disciplines
b- La variabilité humaine
Les quelques milliards d'individus qui peuplent notre planète peuvent être classés en groupes selon différents critères ethniques, géographiques, sociologiques ou ... biologiques.
Les caractères biologiques définissant ces groupes sont identifiables et leur expression visible constitue le phénotype. Ils sont déterminés par des gènes qui sont des segments d'ADN répartis le long des chromosomes. L'ensemble des gènes - le génome - qui gouverne l'expression du phénotype constitue le génotype.
Si le phénotype est facilement perceptible et peut même être artificiellement modifié, le génotype est beaucoup plus difficile à analyser. Il faut connaître la localisation du gène (le locus) dans le génome, identifier sa structure, c'est-à-dire la séquence des bases sur le segment d'ADN qui le constitue et vérifier sa fonction ; c'est le domaine de la "biologie moléculaire". Les gènes codant les marqueurs des groupes sont, comme tous les gènes, transmis par les parents et leur expression phénotypique obéit aux lois de l'hérédité.
Ces marqueurs déterminent la variabilité de l’humain encore appelé polymorphisme. Ce polymorphisme chez l’humain va concerner à la fois les formes phénotypiques (caractères visibles) et génotypiques (non visible : gènes). Ce polymorphisme phénotypique et génotypique chez l’humain peut provenir de diverses origines : mutations géniques au niveau des cellules sexuelles suivies d’hérédité, migration, milieu (déterminisme épigénétique).
- Typologie de la variabilité humaine
Il existe une grande homogénéité de l’espèce humaine ; les ADN de deux êtres humains pris au hasard parmi les six milliards que compte notre planète sont identiques à 99,9% (Bertrand JORDAN, p.54). Il existe tout de même une différence entre les individus qui est l’ordre de 0,1%. Cette divergence n’est pas tout de même négligeable car elle porte sur un écart de trois millions de bases d’ADN et constitue le point focal de la variation génétique entre les individus à l’exception des jumeaux homozygotes. C’est donc sur les 0,1% de différence que porte la diversité génétique humaine. A cette variation induite par nos gènes, il existe une autre se situant au niveau phénotypique, induite par le milieu (déterminisme épigénétique). A part donc les vrais jumeaux, nous sommes tous génétiquement distincts, et chacun des individus de notre planète porte un assortiment de gènes absolument unique qui n’a jamais existé auparavant et qui n’adviendra jamais plus. L’individu tout en ressemblant à ces parents est nettement différent. Tous égaux, tous différents. A force de s’interféconder, l’humanité n’a pu engendrer un être « moyen » standardisé, mais au contraire une infinie variété de types distincts.
Ainsi ont peut déterminer différents types de variation ou polymorphisme chez l’humain.
- Polymorphisme morphologique
C'est le polymorphisme de taille, de forme, de couleur etc. Chez l'homme, un grand nombre de caractères morphologiques sont polymorphes, avec des fréquences élevées des différentes formes. C'est le cas de la couleur des yeux ou de la peau, de la forme des oreilles. La variabilité de la couleur de la peau est le caractère le plus visible chez l’humain. Cette variation de la couleur de la peau est sous le contrôle de six gènes principaux entre lesquels existent des relations d'épistasie.
- Polymorphisme des protéines
- Polymorphisme enzymatique
Depuis les années 1960, la variabilité des protéines est étudiée par électrophorèse. Les protéines sont des molécules chargées qui se déplacent dans un support poreux (gel d’agarose, d’amidon, de polyacrylamide, d'acétate de cellulose) lorsque celui-ci est soumis à un champ électrique.
La vitesse de migration dépend de la charge globale de la protéine, de sa taille et de sa conformation. Toute mutation dans la séquence d'un gène codant pour une protéine peut modifier le sens d'un codon, altérer la séquence d'acides aminés donc la charge électrique de la protéine et sa vitesse de migration. Ce changement de structure primaire peut être détecté par électrophorèse qui sépare les variants protéiques ayant des vitesses de migration différentes appelées souvent F (fast) et S (slow).
La mise en évidence de différents allèles d'un même gène est possible pour les enzymes grâce à la spécificité de la réaction enzyme-substrat visualisée par une réaction colorée. L'existence de variations génétiques à un locus donné est détectée par la présence de différents niveaux de migration dans le gel d'électrophorèse, qui sont associés à des allèles différents appelés allozymes.
L'étude d'un lot d'individus permet d'identifier les génotypes individuels à plusieurs loci lorsque les enzymes ont des niveaux de migration différents. Les allèles sont en effet codominants et chaque individu est caractérisé par la position et le nombre de bandes pour chaque locus étudié. Pour une enzyme monomérique, les homozygotes seront caractérisés par une seule bande alors que les hétérozygotes présenteront 2 bandes. Pour les enzymes plus complexes (dimères, tétramères), le nombre de bandes se multiplie et la lecture des gels d'électrophorèses devient plus difficile.
- Polymorphisme immunologique
Chez l’homme, le polymorphisme immunologique le plus étudié est celui des antigènes présents à la surface des globules rouges dont les plus connus sont le système ABO, le système rhésus (allèle Rh+ dominant sur Rh–), le système MN (M et N codominants).
Pour le système ABO, les allèles A et B sont codominants entre eux et tous les deux dominants sur l'allèle O. De fortes variations géographiques existent pour les fréquences des allèles du système ABO à l'échelle des continents.
Le système ABO donne six phénotypes différents A1, A2, B, A1B, A2B et O. Le système LEWIS constitué de substances hydrosolubles qui se fixent secondairement sur les antigènes AB et H en leur ajoutant de nouvelles spécificités Le(a) et Le(b). L’on distingue trois phénotypes Lewis : Le (a+b-), Le (a-b+), Le (a-b-). Le système rhésus (Rh+ Rh-) avec des spécificités dont les 5 anticorps anti D, C, E, c et e permettent de déterminer le phénotype Rhésus. Les phénotypes le plus fréquemment rencontrés sont: DCce, DCe, dce, DCcEe, DcEe. Cette liste de systèmes des groupes sanguins n’est pas exhaustive, on dénombre actuellement une trentaine de systèmes de groupes sanguins. Parmi eux citons le groupe Kell avec deux antigènes K et k. K est présent chez 10% des sujets (Kell +) tandis que k est commun à tous ; le groupe Duffy avec les antigènes Fya et Fyb déterminant les phénotypes :Fy(a+b+) et Fy(a+b-) = Duffy+, Fy(a-b+) et l'exceptionnel Fy(a-b-) = Duffy- ; le groupe Kidd avec deux antigènes : Jka (présent chez 75% des sujets, désignés "Kidd+") et Jkb. ; Et bien d'autres (une trentaine au total).
Un autre polymorphisme immunologique bien connu chez l'homme est celui du système HLA (Human Leucocyte Antigen), appelé aussi complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), mis en évidence au niveau des leucocytes et des plaquettes sanguines. Ce polymorphisme implique 6 gènes étroitement liés, portés par le chromosome 6. Chaque gène comporte de très nombreux allèles, ce qui conduit à une diversité quasi infinie des combinaisons ce qui assure l'identité immunitaire de chaque individu.
- Polymorphisme chromosomique
Ce polymorphisme peut être dû soit à une variation du nombre des chromosomes (euploïdie, aneuploïdie) soit à un changement de leur structure (délétion, duplication, inversion, translocation). C’est le cas d’aneuploïde provenant de non-disjonction des chromosomes homologues en méiose : exemples la trisomie 21, la trisomie des chromosomes sexuels : 44 a+ XXY, 44a+ XXX, 44a+ XYY ; la tétrasomie des chromosomes sexuels 44a + XXXX, 44a + XXXY, …).
- Polymorphisme épigénétique
Lorsque la variabilité d'un caractère n'a aucune base génétique, c'est à dire ne fait pas intervenir de modification de séquence d'ADN, elle est qualifiée de variabilité épigénétique. Cette variabilité résulte souvent de l'action des facteurs environnementaux sur l'expression phénotypique d'un caractère (température, alimentation, physico-chimie de l'environnement, etc). Lorsque la variabilité d'une population présente un déterminisme uniquement épigénétique, on parle de polyphénisme. Le caractère présente alors une plasticité phénotypique. Chez l’humain la couleur de la peau est aussi le résultat de déterminisme épigénétique (climat, alimentation). Les individus soumis à un climat tempéré ont tendance à avoir la peau qui blanchit alors que ceux soumis au climat chaud ont la peau foncée. Il y a aussi les empreintes digitales chez les jumeaux homozygotes dont la différence est induite par le milieu (milieu utérin).
Dans certains cas, cette variabilité épigénétique peut être héritable et donc transmise à la descendance. On parle d'hérédité épigénétique. C'est le cas par exemple des effets maternels qui apparaissent lorsque l'environnement subi par les parents (souvent la mère) a des conséquences sur les caractéristiques des descendants par le biais d'enzymes, protéines, hormones ou d'ARNm transmis à la descendance via le cytoplasme des ovocytes ou pendant le développement embryonnaire précoce.
Par exemple une étude faite sur une population dont étaient référencés tous les individus ainsi que leur alimentation en fonction des récoltes a montré qu'une grand-mère ayant vécu une famine transmet cette information à sa descendance et par conséquent modifie le code génétique de son petit-fils, qui peut développer des maladies alors qu'il n'a jamais connu de famine. De même les femmes enceintes durant les événements du 11 septembre 2001 ont montré que l'enfant possédait un taux de cortisol plus élevé.
Les modifications épigénétiques constituent l'un des fondements de la diversité biologique
- Origine ou déterminisme des variations
La variabilité humaine est déterminée donc par deux mécanismes : le déterminisme génétique et le déterminisme épigénétique.
v Déterminisme génétique
- Méiose et crossing-over
L’individu reçoit la moitié de ses chromosomes (23) venant de son père et l’autre moitié (23 chromosomes) venant de sa mère. Ceci marque une première différence génique entre l’individu et ses parents. En effet les cellules sexuelles ou gamètes (ovule et spermatozoïde) contiennent chacune en principe 23 chromosomes grâce à la division réductionnelle qui a lieu au cours de la méiose (mécanisme de production des gamètes). Lors de la méiose la répartition de ces chromosomes paternels et maternels va se faire au hasard dans les deux cellules filles. Ainsi une cellule peut avoir sur ses 23 chromosomes 18 chromosomes paternels et 5 chromosomes maternels et l’autre cellule fille 18 chromosomes maternels et 5 cellules paternels. Le nombre de combinaison possible est énorme 223 = 8.388.608 d’où la variabilité génétiques des progénitures. Au-delà de cette réalité lors de la méiose il y a échange entre des portions de chromosomes au cours de la disjonction des paires de chromosomes. C’est le phénomène de crossing-over ou d’ «enjambement». Ceci va augmenter le mixage des gènes d’origine paternelle et d’origine maternelle et donc l’unité génique individuelle et par ricochet la variabilité génétique.
- Mutations
Il arrive qu’un enfant reçoive dans son patrimoine génétique les mutations que subissent ses parents. Seules les mutations qui apparaissent dans les cellules sexuelles sont celles qui sont transmises d’une génération à l’autre. Elles sont en partie à l’origine de la variation humaine. On distingue :
- Les mutations géniques qui intéressent un segment de l’ADN donc un gène.
Des mutations peuvent affecter l’ADN ; Ces mutations affectent la séquence d'un gène concerné (ordre des bases nucléotides d'un gène : adénine, thymine, guanine et cytosine).
Ces mutations sont provoquées par des agents mutagènes tels que certaines réactions chimiques cellulaires de l’organisme, les rayons X, alpha, bêta, ultraviolets (UV), les neutrons, les atomes radioactifs… Ces agents mutagènes peuvent être d’origine différente. Nous avons :
- Les agents mutagènes naturels à savoir les rayons cosmiques et les radiations terrestres (sols riches en atomes radioactifs), les atomes radioactifs contenus dans les aliments, ou tout simplement par la défaillance des organites responsables de la réparation de l'ADN mal transcrit ou traduit.
- Les radiations artificielles provenant de l’énergie nucléaire, de site de production de l’uranium, les produits radioactifs libérés de l’explosion des bombes pendant les guerres et/ou lors des divers essais de bombes A ou H réalisés à l’air libre.
- La mutagénicité des produits chimiques : Nos cellules elles-mêmes sont des usines chimiques, certaines molécules fabriquées par l’organisme tel que l’acide nitreux, peuvent réagir directement avec les bases constitutives de l’ADN, d’autres comme le 5-Bromouracile, ont une structure chimique voisine de l’une de ces bases et peuvent se substituer à celle-ci ; dans chaque cas le message génétique est perturbé, une mutation se produit. En plus nous avons les produits chimiques artificiels tels que la thalidomide, responsable de la naissance de tant d’enfants démunis de bras ou de jambes.
On ne peut pas situer avec exactitude parmi les mutations géniques quelle est la part des rayons mutagènes ou des produits chimiques artificiels étant donné que des expériences directes sur l’homme ne sont pas envisageables pour des raisons non seulement éthique, mais pour les générations importantes qu’il faut pour obtenir les résultats de ces expérience.
- Les mutations chromosomiques à modifications de nombre : c’est le cas d’aneuploïde provenant de non-disjonction des chromosomes homologues en méiose : exemples la trisomie 21, la trisomie des chromosomes sexuels : 44 a+ XXY, 44a+ XXX, 44a+ XYY ; la tétrasomie des chromosomes sexuels 44a + XXXX, 44a + XXXY, …). Ces mutations surviennent lors de la division réductionnelle (méiose) des cellules sexuelles chez les parents. Il s’agit d’un défaut ou du moins une anomalie de cette division. Au lieu que la division aboutisse à des gamètes ayant n = 23 chromosomes, on obtient plutôt des gamètes à n = 23 chromosomes + des chromosomes surnuméraires.
- Les modifications de la structure des chromosomes qui comprennent des délétions, des duplications, des inversions, des insertions et des translocations. Ces mutations surviennent aussi pendant la méiose précisément lors du crossing-over.
Ces mutations sont à l'origine de divers polymorphismes génétiques chez l’humain (gènes, enzymes ou protéines, chromosomes) et expliquent la variabilité humaine.
- Les migrations
Les migrations entrainent la rencontre de deux peuples génétiquement différents. Les unions qui s’opèrent entre ces peuples vont favoriser le brassage génique et amplifier la différentiation et la variabilité génétiques qui existait déjà entre les individus. De nos jours avec les moyens de déplacement sophistiqués et rapides, les populations se déplacent facilement d’une zone du monde à une autre où elles érigent de nouvelles demeures et contractent des unions. Ceci entraine le mélange des gènes et participe à l’hétérogénéité génétique dans la population. L’une des conséquences de ces migrations est donc le métissage entre les peuples. Par exemple des études hémotypologiques ont qu’Aux Antilles, en Amérique centrale et du Nord, les Noirs sont sur le plan anthropologique, beaucoup plus proches des Blancs que de leurs « cousins » d’Afrique.
v Déterminisme épigénétique
Comme nous l’avons signifié plus haut le terme épigénétique définit les modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de changements des séquences nucléotidiques. Des changements phénotypiques peuvent se produire spontanément, en réponse à l'environnement, à la présence d'un allèle particulier, même si celui-ci n'est plus présent dans les descendants. On a cité plus haut le cas de variation des empreintes digitales chez les vrais jumeaux et des caractères induits par la famine et transmis à la descendante. L’épigénétique détermine donc de nombreuse variations de caractères constatées dans la population humaine.
b- De la biologie à la culture
L’être humain est à la fois biologique et social. Et la frontière entre les deux facettes est interminable quand il s’agit de décrire l’humain. Les deux dimension de la condition humaine interagissent et s’interpénètrent. Tout ce que l’on sait de l’émergence de l’homme montre que son apparition sur terre et la place actuelle qu’il occupe dans le monde des vivants furent possible grâce aux aptitudes de son cerveau d’inventer une culture comme réponse à ses besoins vitaux et sociaux. Ce n’est pas dans la zoologie au sens strict du terme qu’il faut rechercher l’originalité de l’homme mais plutôt dans le psychosocial. Grâce au développement de son cerveau et à la libération de sa main, l’espèce humaine a acquis le haut niveau de connaissance réfléchie qui assure l’apparition d’un moyen de communication logique (le langage conceptuel) et qui permet à l’organisation de sociétés de plus en plus complexes et performantes. La maitrise du feu par l’homo erectus a eu des effets réductionnistes sur les efforts désormais déployés pour la mastication des aliments et donc sur la forme des mâchoires et des dents en un mot sur la morphologie du crâne de celui-ci. Ceci a sans doute préparé son évolution vers l’homo sapiens.
Aujourd’hui encore chez l’homo sapiens, culture et biologie s’imbriquent. Par exemple les habitudes alimentaires (données culturelles) continuent de transformer le corps biologique. L’expérience de vie, la santé en dépendent très souvent. Les savoirs technologiques sont en rapport avec l’activité du cerveau. L’homme à travers ses comportements est sous la dépendance de l’inné et de l’acquis du biologique et du culturel…
D- Les branches de la Bioanthropologie
L'anthropologie biologique ne recouvre pas toutes les branches de la biologie humaine, elle n'en retient qu'une partie. Ainsi, l'anatomie, la physiologie, la génétique traitent de l'Homme moyen, identique partout. Tandis que l'anthropologie considère moins l'individu que le groupe, et tantôt il s'agit du groupe humain par rapport aux Primates, tantôt il s'agit des groupes humains entre eux. L'accent est donc mis sur les caractères différentiels plutôt que sur ce qui est commun, sur ce qui sépare plutôt que sur ce qui unit. C'est pourquoi l'anatomie utilisée sera une anatomie comparée, la génétique anthropologique une génétique des populations, etc. De ce point de vue la Bioanthropologie peut être considérée comme la « science des variations ou de la variabilité humaine ». Le but final est de décrire les groupes humains et surtout d'expliquer leurs différences. Ceci découle d'ailleurs de l'évolution de la science anthropologique.
En fonction des différents domaines abordés par l’anthropologie biologique, on distingue trois branches de l’anthropologie biologique, à savoir l’écologie humaine, l’éthologie ou la biologie du comportement, la génétique des populations humaines et la Biologie humaine.
e- L’écologie humaine
L'écologie humaine est la sphère de l'écologie associée à homo sapiens, l'espèce de l'être humain. ERNST HAECKEL (1834-1919) la définit comme étant la partie de l'écologie qui étudie l'espèce humaine, l'activité organisée, sociale et individuelle de cette espèce, et son environnement, la biosphère.
L’écologie humaine correspond à un questionnement où la relation entre l’humanité et la nature est abordée essentiellement à partir de la relation entre les populations humaines et leur environnement. A l’écologie générale, l’écologie humaine emprunte l’habitude de raisonner en termes de dynamiques de populations, d’interactivité avec les autres espèces et l’ensemble des conditions de milieu. Mais il est clair que les êtres humains interagissent avec le milieu “ naturel ” en fonction de techniques, de représentations et à travers des organisations fort diverses qui n’ont aucun équivalent dans le monde animal. À ce titre l’écologie humaine s’inscrit dans une démarche interdisciplinaire destinée à examiner les interfaces biologie/culture et société/nature.
L'écologie humaine a plusieurs objectifs de nature scientifiques.
Tout d'abord, elle étudie biologiquement une espèce, l'être humain homo sapiens, qui constitue en lui-même un écosystème.
Ensuite, elle considère l'environnement biophysique de la vie des humains, à diverses échelles (par exemple, en étudiant l'humain et l'écosystème urbain - la ville, l'écosystème rural - la campagne ou l'écosystème terrestre - la biosphère). Alors qu'il a été négligé par les écologistes, l'être humain est considéré par l'écologie humaine comme un facteur écologique important à présent. L'impact de son activité sur l'habitat et en retour, l'impact des modifications de son environnement sur l'humain lui-même (par exemple, les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl en 1986 sur la santé humaine ; il s’agit du passage d’un nuage radioactif provenant de l'explosion de la centrale de Tchernobyl au-dessus d'une bonne partie de l'Europe qui est responsable de contamination encore aujourd'hui) précise les rôles écologiques de l'espèce humaine avec l'écologie globale de la biosphère.
Notons que :
ü l'espèce a migré et colonisé pratiquement tous les continents. À de rares exceptions près (milieux extrêmement froids ou très arides), les humains se sont implantés sur la totalité de la surface terrestre ou les ressources le permettent;
ü l'être humain modifie son environnement de vie volontairement et consciemment (par exemple, en défrichant des forêts pour construire des villes, en supprimant des marais pour éliminer les moustiques ou en détruisant par peur et ignorance) selon des idéologies culturelles;
ü l'être humain, plus récemment, perturbe les grands équilibres de la biosphère et de la biodiversité par le biais de l’agriculture, des infrastructures urbaines et de l'activité industrielle, par exemple en produisant les chlorofluorocarbones (CFC) qui entrainent la destruction de la couche d'ozone ;
ü l'être humain agit consciemment et délibérément pour essayer de restaurer certains équilibres écologiques qu'il a lui-même perturbés (par le biais de protocoles internationaux, tels que le protocole de Kyoto) ;
ü l'être humain est une des espèces dont l'activité en un point du globe peut avoir des conséquences importantes en un point complètement différent (par exemple, l'émission des gaz à effet de serre par les pays développés pourrait entraîner un réchauffement climatique qui pourrait aboutir à la disparition du Bangladesh).
f- L’éthologie ou la biologie du comportement
L’éthologie est présente chaque fois qu’observation et description naturalistes sont mises en œuvre. Elle est la science qui étudie le comportement des êtres vivants, animaux, humains. Le comportement étant la manière d'agir ou de fonctionner de façon habituelle ou dans un but précis ou encore la réponse à un stimulus. Le comportement de l'être humain est le reflet de ses désirs et de ses préférences, de ses motivations et de ses affects, de ses pensées et de ses croyances. L’éthologie s’intéresse à des facteurs qui vont faire que tel individu, homme ou animal, va exprimer tel comportement. Les comportements sont réunis en grandes familles de comportements à savoir les comportements sociaux, les comportements territoriaux, les comportements de reproduction, les comportements de communication, les comportements d’alimentation, les comportements de déplacement. L’éthologie interroge aussi les motivations qui vont conduire l’individu à avoir un certain comportement : les stimuli qui peuvent être endogènes (de l’intérieur) ou exogènes (de l’environnement). Il faut alors s’intéresser à la manière dont le stimulus va parvenir à faire réagir l’individu, à la manière dont le signal le stimule. Ce pourra être par le biais d’un ou de plusieurs des cinq organes de sens, ou par ce que l’on appelle des signaux physiologiques. Elle s’intéresse aussi à la manière dont les comportements se construisent, travaille donc sur l’inné et l’acquis, sur la phylogenèse et l’ontogenèse.
Plus précisément l’éthologie humaine a pour objet de porter un regard biologique sur les comportements de l’homme et ses structures sociales. Elle cherche à décrire se que fait réellement un individu (réalité objective) dans un contexte donné. Le champ d’étude de l’éthologie humaine se situant à l’intersection de la biologie et de l’étude du comportement social et individuel, elle apparait comme une discipline à l’interface complémentaire des autres disciplines des sciences humaines.
g- La génétique des populations humaines
La génétique est l’étude de la transmission des caractères normaux et pathologique d’une génération à l’autre. Elle permet de mieux expliquer tous les mécanismes de la variabilité génétique (polymorphisme) de l’humain et de comprendre pourquoi nous sommes tous différents les uns des autres (à l’exception des vrais jumeaux). C’est Mendel en 1866, qui élucida les mécanismes de transmission des caractères particuliers à certains individus et non celle des caractères communs à toute l’espèce. La génétique des populations quant à elle est une application, commencée dans les années 1920 à 1940 par RONALD FISHER, J. B. S. HALDANE et SEWALL WRIGHT, des principes fondamentaux de la génétique mendélienne à l'échelle des populations. Cette application a permis de faire la synthèse entre la génétique mendélienne et la théorie de l'évolution, donnant ainsi naissance au néo-darwinisme (théorie synthétique de l'évolution).
La génétique des populations humaines traite donc des fluctuations des fréquences des différentes versions d'un gène (allèles) au cours du temps dans les populations humaines, sous l'influence de la sélection naturelle, de la dérive génétique, des mutations et des migrations. Ces différents facteurs sont appelés des "pressions évolutives". Les fluctuations de fréquence des allèles sont la première étape de l'évolution. En effet, la fixation de certains allèles peut conduire à des adaptations. Par la suite, l'accumulation d'adaptations différentes dans différentes populations peut conduire au processus de spéciation.
Les êtres vivants et les êtres humains en particulier possèdent tous de l'ADN. L'étude de cet ADN pour une population et la comparaison de cet ADN avec l'ADN d'autres populations constituent la base de la génétique des populations.
Nous possédons 22 paires de chromosomes dit homologues (ou autosomes) et deux chromosomes dit sexuels (ou gonosomes). Par ailleurs, nous possédons aussi de l'ADN dit mitochondrial (ADN-mt ou mt-DNA en anglais) qui n'est pas à proprement parler un chromosome. Cet ADN-mt se transmet intégralement de la mère aux enfants. En revanche, seuls les hommes possèdent le chromosome sexuel appelé Y (ADN-Y ou Y-DNA en anglais) qui se transmet donc intégralement du père aux fils.
Notre ADN peut parfois muter, c'est-à-dire qu'un des éléments de base (58 millions de paires de bases pour l'ADN-Y et 16000 paires de bases pour l'ADN-mt) qui le constitue se transforme lors de la recopie de cet ADN. Le résultat de cette mutation s'appelle polymorphisme nucléotidique simple (SNP en anglais). Cette mutation arrive très approximativement une fois toutes les 25 à 500 générations pour l'ADN-Y pour l'ADN-mt (il n'y a pas de consensus à ce sujet)
En plus des chromosomes contenus dans le noyau, les cellules humaines possèdent de l'ADN contenu dans les mitochondries. Cette information génétique est transmise essentiellement par la mère à 99 %, car les mitochondries sont surtout transmises par le cytoplasme de l'ovocyte. Comme cet ADN n'est pas soumis aux lois génétiques de la reproduction sexuée, il n'est pas ou peu soumis aux recombinaisons génétiques. Cependant le taux de mutation reste relativement élevé. Ces raisons font que cet ADN a été privilégié pour l'étude des grandes migrations humaines depuis 200 000 ans en partie à l’origine de mélange de certains gènes entre populations de cultures différentes.
En somme la génétique des populations humaines s’intéresse à l’hérédité des caractères normaux et pathologiques, la variabilité génétique (marqueurs génétiques et polymorphisme), les mutations, les migrations, la théorie synthétique de l’évolution. Elle a des applications en épidémiologie où elle permet de comprendre la transmission des maladies génétiques. Elle est une discipline des sciences de la vie faisant un fort usage d'outils génétiques et mathématiques.
h- La biologie humaine
La biologie humaine est l’étude de l’homme dans sa constitution morphologique, cellulaire et biochimique. Elle s’intéresse également à l’évolution ontogénétique depuis la conception jusqu’à la disparition de l’individu et tous les mécanismes de croissances qui participent à cette évolution. Les principales orientations de la biologie humaine dans la perspective anthropologique seront donc l’anatomie comparée (morphologie), la biologie de la reproduction, la croissance (enfance, adolescence), le vieillissement (cellules, biochimie : anthropologie du vieillissement), la nutrition (anthropologie nutritionnelle), la santé et les infections. Tous ces éléments sont abordé dans une approche de la relation biologie et culture. On peut par exemple décider d’étudier la représentation socioculturelle de la naissance (biologie de la reproduction) de jumeaux dans une société donnée. Ou encore les conséquences biologiques de pratiques culturelle touchant l’intégrité biologique de l’homme (l’exemple de l’excision). On peut de même étudier les habitudes alimentaires de deux populations différentes et leurs conséquences sur leur expérience de vie, ou sur leur état de santé afin d’en tirer des conséquences (l’exemple de l’obésité).
Environnement
ECOLOGIE HUMAINE GENETIQUE HUMAINE
Comportement Gène
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ETHOLOGIE HUMAINE BIOLOGIE HUMAINE
Biologie (organisme)
CONCLUSION
Par convention, l'anthropologie sous-entend l'anthropologie physique (ou biologique), tandis que l'anthropologie culturelle est désignée par son autre nom, l'ethnologie. Cependant, cette acception des mots n'est pas universelle : dans les pays anglophones, l'anthropologie désigne l'ensemble des quatre disciplines, tandis qu'en Europe continentale elle a le sens restreint d’anthropologie physique (ou biologique) regroupant la paléontologie humaine et la biologie humaine et l’anthropologie sociale (ou ethnologie) désignant la science de la culture humaine, l’archéologie et la préhistoire étant considérées comme des spécialités de l’Histoire.
De même que la zoologie étudie les animaux du point de vue de leur morphologie et de leur mode de vie, de même l'anthropologie porte aussi bien sur les traits physiques, la biologie et la génétique- c'est alors l’anthropologie biologique - que sur les mœurs et coutumes qui intéressent l’anthropologie culturelle (ou ethnologie). De plus, les connaissances acquises sur les hommes fossiles ont conduit à développer deux autres disciplines, qui prolongent les précédentes dans le passé : la paléontologie humaine (ou paléoanthropologie) et l’archéologie (ou l’archéoanthropologie). Ces différentes disciplines de l’anthropologie son en interconnexion
L’anthropologie biologique (ou anthropologie physique) a débuté au XVIIIe siècle. Elle a d’abord été l’affaire de spécialistes de la médecine, la biologie et les sciences de la nature (Edward TYSON 1650-1708, Comte de BUFFON 1707-1788, Carl LINNE 1707-1778, Johann F. BLUMENBACH 1752-1840, P.P. BROCA 1824-1880, …). Elle fut d’abord une science de classification des peuples du monde en « races » hiérarchisées avant d’être une science des différences biologiques et du polymorphisme humain grâce à l’apport de la génétique et de la sérologie (hématologie).
L’anthropologie biologique s’intéresse à l’étude de l’homo sapiens (homme actuel) dans son unicité et sa variabilité biologique et forme un pont entre les sciences du vivant et les sciences humaines. Elle est à la fois une science du bios et de la culture. Elle concilie donc les sciences de la nature et les sciences de l’homme.
On ne peut faire de la bioanthropologie en excluant la culture et le social qui conditionnent la dimension biologique de l’homme. La bioanthropologie peut et doit se classer parmi les sciences humaines même si au plan académique, elle se trouve logée dans les facultés de médecine ou de biologie, elle ne doit pas nier sa dimension culturelle et sociale.
BIBLIOGRAPHIE
Albert JACQUARD, Eloge de la différence, la génétique et les hommes, éditions Seuil, 1978, 226 p.
Bertrand JORDAN, L’humanité au pluriel, la génétique et la question des races, éditions Seuil, 2008, 230 p.
Charles ROUX, L’hérédité, CASTERMAN, 1974, 168 p.
Charles SUSANNE, Esther REBATO, Brunettto CHARELLI, Anthropologie biologique, évolution et biologie humaine, De boeck, 2003, 763 p.
E.E. EVANS-PRITCHARD, Anthropologie sociale, Petite Bibliothèque Payot, 1977, 177 p.
Jacques RUFFIE, De la biologie à la culture, Flammarion, 1978, 594 p.
Jean CHALINE, Quoi de neuf depuis Darwin ? La théorie de l’évolution des espèces dans tous ses états, Ellipses, 2007, 480 p.
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